CHASSES ET LITTÉRATURE

 

ARSÈNE LUPIN ET LES CHASSES AU TRÉSOR

 

 

Les chasses au trésor organisées s’articulent autour d’énigmes qu’il s’agit de résoudre pour en découvrir la signification cachée. Dans leur résolution, l’astuce prédomine en général, mais il n’est pas rare de devoir effectuer des recherches, parfois approfondies : histoire et géographie bien sûr, mais aussi astronomie, architecture, physique-chimie, et bien d’autres disciplines encore font l’objet des investigations des chercheurs.

Ce thème général de la « découverte du secret » a été souvent exploité dans la littérature. Il attire par l’aura de mystère qu’il présente, et aussi parce qu’il permet à l’auteur d’illustrer le personnage de l’enquêteur, lequel a revêtu les défroques et exercé les professions les plus variées—voire les ministères : que l’on songe par exemple au Frère Cadfael d’Ellis Peters ou Frère Guillaume de Baskerville dans Le Nom de la Rose d’Umberto Eco.

Si les noms d’Edgar Poe et d’Arthur Conan Doyle viennent immédiatement à l’esprit, force est de constater que leur apport a plutôt été d'ordre méthodique. La résolution d’un crime (de préférence mystérieux) n’est pas étrangère à celle d’une énigme, et à cet égard la célébrissime méthode déductive de Sherlock Holmes reste inégalée : le fameux « incident du chien qui n'avait pas aboyé pendant la nuit » est gravé dans l’esprit de tout chasseur de trésor qui se respecte, et le sentencieux principe « Lorsque toutes les hypothèses possibles ont été écartées, c’est forcément l’hypothèse impossible qui constitue la vérité » trouve bien souvent à s’appliquer dans la résolution d’une énigme.

Quant à Poe, le paradigme qu’il développe dans La Lettre volée illustre le principe même d’une bonne énigme : la solution est là, sous nos yeux, tellement évidente qu’on ne la voit pas... et pourtant, il faut se méfier de ce qui saute aux yeux, à l’image des stupéfiantes coïncidences qui existaient entre Le Trésor d’Orval de Max Valentin et le roman d’Arturo Perez-Reverte, Le tableau du maître flamand, publié en 1990 alors que Max avait commencé à écrire Orval en 1994. Le roman inspira-t-il une partie de la chasse et du visuel qui l’illustrait ? Toujours est-il que sa lecture n’aidait en rien pour résoudre les énigmes !

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Cependant, c’est bien Maurice Leblanc qui reste pour les chasseurs et les auteurs de chasses une source d’inspiration inégalée. Son héros le plus connu, Arsène Lupin, est bien plus que le gentleman-cambrioleur auquel les téléfilms l’ont souvent cantonné, faute de moyens pour mettre en scène de manière fidèle ses épopées les plus haletantes.

Briseur de cœurs à ses moments perdus, Lupin est avant tout un formidable casseur d'énigmes—et Leblanc un romancier qui a su nous faire voyager sur les merveilleux chemins de traverse qui tutoient (et parfois rudoient) l’Histoire de France.

Dès sa première aventure, La Comtesse de Cagliostro, Lupin résoud l’énigme du trésor des rois de France, en comprenant l’analogie délicieusement poétique entre la position des étoiles de la Grande Ourse et celle des sept principales abbayes du pays de Caux grâce à l’acrostiche Ad lapidem olim currebat Regina, qui donne ALCOR.

L'emploi de l’acrostiche, avec ses différentes variantes de décalage de lettres, est un grand classique du cryptage dans les chasses, et quant à « l'image-miroir » d’une constellation sur le sol de France, je veux bien me risquer à dire qu’elle constitue un élément important d’une célèbre chasse au trésor encore en cours à ce jour...

Même dans des aventures moins épiques, à la dimension d’une nouvelle, Leblanc parvient à insérer des énigmes, comme par exemple dans Herlock Sholmès arrive trop tard, où Lupin déchiffre un cryptogramme à la mesure de l'aventure, c’est-à-dire d’une portée limitée. « La hache tournoie dans l’air qui frémit, mais l’aile s’ouvre et l’on va jusqu’à Dieu », message assez trivial, à interpréter phonétiquement et à la limite du jeu de mots douteux, ne restera pas dans les annales mais cadre parfaitement avec l’ambiance badine du récit dans lequel un Lupin papillonnant et moqueur fait faire mouvement à une division d’infanterie et ridiculise, nonobstant l’Entente cordiale, son caricatural ennemi Herlock Sholmès.

Chez Leblanc, le vol et la séduction, les deux mamelles nourricières de Lupin, ne sont que des péchés sociaux pour ainsi dire véniels. Ce sont les rubans dont l’auteur entoure les paquets-cadeaux des énigmes dont il truffe ses récits. Des Dents du Tigre à La Barre-y-va, de 813 à l’inoubliable Aiguille creuse, il distille les indices au fil des pages à l’intention du lecteur attentif. Nombre de ses romans prennent racine dans des énigmes historiques qu’il adapte, transforme et malmène, quand il ne les crée pas de toutes pièces pour notre plus grand plaisir, et l’on comprend qu’avec son inclination pour les mythes et légendes, il ait inspiré Steven Spielberg pour les aventures d’Indiana Jones.


Le message codé de L’Aiguille creuse

Mais au-delà de la verve romanesque et de l’attachante exactitude du tableau social qu’il brosse, ce qui est le plus intéressant de notre point de vue est que Leblanc fourmille d’idées d’énigmes et constitue une base de référence, aussi bien pour le chasseur de trésor que pour l’auteur de chasses.

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