ÉTHIQUE ET CHASSES AU TRÉSOR

 

INTRODUCTION

Une chasse au trésor organisée est avant tout un jeu. Mais l’investissement personnel (et souvent matériel) qu’elle requiert est bien différent de celui d’une partie de Monopoly, et l’intérêt financier qu’il y a parfois au bout s’évalue en véritables billets de banque... C’est de plus un jeu particulier puisque son principe même consiste à découvrir ce que l’auteur s’est efforcé de dissimuler. On peut dire que 98 % des éléments d’une chasse sont par essence mystérieux—y compris, parfois, l’auteur lui-même dont la véritable identité reste une énigme en soi.

Si l’on ajoute que la « partie » ne se déroule pas physiquement en un lieu précis, qu’on ignore qui sont nos compétiteurs, combien ils sont et quelle avance (ou retard) ils ont sur nous, on conviendra que cette activité ludique est empreinte d’une sacrée dose d’incertitude !

Dans un tel contexte, l’esprit a besoin de points de repère, d’autant plus indispensables qu’ils sont rares. Parmi eux, on pourra citer :

  1. L’existence du trésor, c’est-à-dire la preuve raisonnable que toute l’affaire n’est pas qu’une fumisterie ;

  2. L’honnêteté de l’auteur, c’est-à-dire le fait que tous les chercheurs sont à égalité et qu’il n’y a ni triche ni copinage ;

  3. La précision et la fiabilité du règlement, seule loi que l’auteur impose à la chasse ;

  4. Et ce que j’appellerai d'une manière générale l’endogénéité des énigmes (pardon pour le néologisme pédant, que ceux qui ont une meilleure idée m'écrivent), c'est-à-dire le fait que les énigmes se suffisent à elles-mêmes, sont solvables sans recours obligatoire à des éléments additionnels tels qu’indications supplémentaires, sont cohérentes dans le cadre du jeu, et permettent effectivement d’aboutir à la localisation précise du trésor de manière univoque.

Tout cela va de soi ? Hélas, ce n'est pas toujours le cas.

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L’EXISTENCE DU TRÉSOR

Ce premier critère n’a jamais fait l’objet de controverses sérieuses, à une exception près, La Lampe de Titas, une chasse proposée sur Internet en 1998 dont l’auteur, demeuré anonyme (on le comprend) s’est évanoui du jour au lendemain, cessant de répondre aux questions des chercheurs.

On a prétendu que le triste individu qui s’était ainsi moqué des chasseurs pendant plusieurs mois était réapparu quelque temps plus tard en tant qu’auteur d’une autre chasse, celle-là bien réelle et couronnée de succès, et que La Lampe lui aurait servi, en quelque sorte, de banc d’essai grandeur nature, mais cette rumeur n’a jamais reçu la moindre confirmation.

Même l’existence de la Chouette d’Or a été mise en doute à plusieurs reprises, mais cela pour des raisons propres à cette chasse hors du commun à bien des égards. Quoi qu’il en ait été, la véritable Chouette en or, enfermée dans un coffre de banque (c’est une copie en bronze qui a été enterrée en 1993, voir cette page), a été exhibée à plusieurs reprises, la dernière en juin 2001 lors de l'émission de TF1 Défense d’entrer. Plus aucun doute n’existe donc sur ce point, à supposer qu’il y en ait jamais eu.

Partons donc du principe que tous les trésors qui nous sont proposés existent et sont enterrés quelque part en France, qu’ils soient symboliques ou précieux, et précisons que la question ne se pose évidemment pas pour les chasses dites « virtuelles », dans lesquelles le but du jeu est d’être le premier, non pas à déterrer le trésor mais à fournir à l’organisateur une certaine réponse ou une phrase-clé.

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L’HONNÊTETÉ DE L’AUTEUR

Dans l’univers crypté, mystérieux, incertain d’une chasse (ce qui en fait tout le piquant), l’honnêteté et l’impartialité absolues de l’auteur doivent pouvoir être tenues pour acquises sans le moindre doute. Si les dés sont pipés, rien ne va plus. Si l’auteur communique avec des chasseurs, confirme ou infirme des hypothèses de solution, donne à certains des informations dont les autres ne disposent pas, toute la crédibilité du jeu est réduite à néant.

Et malheureusement, cette crainte n’est pas vaine.

Dans le passé, certains doutes avaient été exprimés, certaines rumeurs avaient circulé concernant telle ou telle chasse. Ce n’est pas une coïncidence s’il s’agissait de chasses dites dotées, dans lesquelles le lot représentait une somme d'argent importante. Réalité ou réaction malveillante de mauvais perdants ? Rien ne fut prouvé.

Ce n'est plus le cas aujourd’hui. À deux reprises en l’espace de quelques jours, en septembre 2000, deux irrégularités ont été démontrées.

Dans le premier cas (chasse Felix qui potuit rerum cognoscere causas), il a été prouvé que l’auteur avait communiqué à plusieurs reprises par mails privés avec au moins un chasseur et lui avait confirmé des informations. « Informations bénignes et sans importance pour la suite de la chasse », disaient en substance les parties intéressées. À cela, il convient de répondre que, informations bénignes ou pas, aucune communication de ce genre ne doit JAMAIS avoir lieu et que, si par impossible elle se produit, l’auteur doit publier sur-le-champ à l’attention de tous les chercheurs les éléments concernés.

En effet, tout chercheur, même ultra-sûr de ses solutions, continue d’être tenaillé par le doute. Que l’auteur confirme, et le chercheur n’est plus « ultra-sûr », il sait. Et cela fait toute la différence, et toute l'injustice de la chose.

Peu importe la bénignité alléguée de l’information : un principe fondamental d’équité a été violé, et dans ces cas-là on est prompt à penser que « qui vole un œuf vole un bœuf ». Quand, au surplus, c’est le chasseur ayant bénéficié de cette confirmation soi-disant bénigne qui trouve le trésor quelque temps plus tard, comment ne pas penser que cette confirmation a pu être précédée ou suivie d’autres, moins bénignes ? C'est humain, et cela entache une victoire et une réputation.

Le second cas de manquement à l’éthique est encore plus flagrant, et beaucoup plus grave dans ses conséquences démontrées publiquement.

Lors d'une chasse au trésor organisée par la ville d’Angers, un chercheur a bénéficié de la divulgation d’informations essentielles de la part d’un ami et collaborateur occasionnel de l’auteur. Ce chercheur a feint pendant plusieurs mois de recevoir ces confidences avec intérêt, désireux qu’il était d’exposer le scandale dans toute sa plénitude.

Après avoir été déclaré vainqueur de la chasse, il a fait éclater l’affaire publiquement en refusant le lot et en expliquant pourquoi. Si le sujet vous intéresse, allez sur le site de Patrice Salvy, rubrique « Le Grand Coffre », page « Le scandale d’Angers ».

La grande différence par rapport aux rumeurs évoquées plus haut est que, cette fois, toutes les précautions avait prises pour tendre à l’indélicat un piège dont il ne pourrait pas s’extraire, en dépit de sa grande habileté. Après avoir tenté de protester de son honnêteté, le collaborateur occasionnel en question n’a finalement eu d’autre choix, devant les preuves accumulées, que de reconnaître sa culpabilité.

Ajoutons que, dans les deux cas (chasse Felix qui potuit... et chasse d’Angers), c’est la même personne qui était mise en cause, en l’occurrence un auteur amateur connu sous le pseudonyme de Frédéric Charles, et par ailleurs chasseur de trésors réputé sous le pseudonyme de Meteor. Ces événements ont créé une violente onde de choc parmi les chercheurs, à la mesure de la surprise et de la crise de confiance. Il est tentant de penser que, puisque le même individu a été impliqué dans les deux affaires, le coup de balai salutaire qui a été donné sera suffisant et que, le temps passant, les chercheurs se rendront compte que les chasses sont redevenues « propres ».

Tous n’en sont pas convaincus, loin s’en faut.

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PRÉCISION ET FIABILITÉ DU RÈGLEMENT

La plupart des jeux organisés pour le public sont régis par un règlement qui prévoit, en particulier, que tout participant accepte et s’engage à respecter les dispositions dudit règlement, lequel est le plus souvent déposé ne varietur chez un huissier de justice.

Chaque chasse au trésor est donc ainsi munie de ses tables de la loi, à l’exception des petites chasses non dotées, généralement conçues et mises en ligne par une ou plusieurs personnes physiques, par ailleurs chasseurs eux-mêmes.

Personnellement, je ne commence jamais une chasse sans avoir lu attentivement son règlement, mais la plupart des chasseurs ne s’ennuient pas avec cette formalité... jusqu’au moment où survient une difficulté. Il faut reconnaître qu’à ce dédain des chasseurs (assez compréhensible : ils sont là pour jouer, pas pour se barber en lisant le règlement) répond une négligence quasi-égale des auteurs et organisateurs.

N’a-t-on pas vu une très fameuse chasse annuelle, dont le support n’est rien moins qu’une chaîne de télévision nationale publique, se dérouler une année nantie du règlement de l’année précédente, devenu au surplus totalement obsolète du fait d’un changement de formule ? Les huissiers, qui pourraient veiller au grain car ils sont là pour ça, ne sont pas plus utiles : ne connaissant rien aux chasses au trésor, ils ne peuvent conseiller utilement l’auteur dont le dialogue avec cet officier ministériel est généralement réduit au strict minimum. Chacun pense qu’il n’a pas grand-chose à dire à l’autre... et la chasse est lancée avec un règlement taillé spécialement pour le Grand Tirage du Siècle du Reader’s Digest.

Résultat prévisible : en cas de litige, auteur et chasseurs n’ont pas de points de repère précis et fiables. Tous réalisent qu’on les a affublés d’un décrochez-moi-ça juridique alors qu’ils attendaient du sur mesures. Ça gêne aux entournures, particulièrement lorsqu’on constate qu’un jury composé d’on ne sait qui (car personne ne l’a précisé à l’avance), mais ne comprenant sans doute aucun chasseur ni aucun auteur, va statuer sans recours sur la contestation.

Il est vrai que « sans recours », c’est vite dit : toute personne intéressée peut en effet s’adresser à la justice (le juge d'instance ou de grande instance, selon le cas) si elle s’estime lésée par la décision du jury, mais en pratique, qui ira jusque là ? Ce n’est évidemment pas le but du jeu.

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ENDOGÉNÉITÉ DES ÉNIGMES

Le fondement logique d’une chasse est que tous les éléments nécessaires et suffisants à la résolution des énigmes sont contenus dans les énigmes elles-mêmes. L’auteur peut certes, s’il le souhaite, diffuser des indications supplémentaires, mais celles-ci ne doivent être, comme leur nom l’indique, que des aides au décryptage, et non des compléments sans lesquels les énigmes seraient insolubles.

Pourquoi ? Parce que si les énigmes sont insuffisantes en elles-mêmes pour trouver le trésor, d’abord le jeu est faussé au départ, c’est une véritable tromperie à l'égard des participants. Ensuite parce que l’auteur, en diffusant les éléments supplémentaires aux moments qu’il choisit, « contrôle » l’avancement des chasseurs, les retarde artificiellement sur un point bloquant (et sciemment conçu comme tel), provoque des nivellements, bref rallonge ou raccourcit la chasse à son gré.

Cette capacité de « télécommander » l’avancement des chercheurs est certes rassurante pour un auteur—notamment par rapport aux engagements de calibrage dans le temps pris vis-à-vis de son sponsor. Une « grande chasse d'été » pour la région Poitou-Charentes ou pour Coca-Cola qui dure trois semaines... ou deux ans, ne fait guère l’affaire du marketing des sponsors concernés !

Cela étant, c’est un risque qu’auteur et sponsors doivent assumer. Une chasse au trésor est avant tout une grande aventure, ce n’est pas la course du tiercé que l’on peut minuter à quelques secondes près.

Il ne s’agit pas d’ignorer les impératifs des sponsors qui font vivre, en tous cas, les chasses dotées, et leur permettent d'exister. Mais il est humainement impossible de prévoir avec certitude à quelle date précise une chasse prendra fin, même si les meilleurs auteurs parviennent, avec l’expérience, à un calibrage relativement précis. Une alternative possible consiste à diffuser les énigmes selon un calendrier prévu à l’avance : ce procédé, parfaitement admissible, garantit une durée minimale à la chasse, mais pas une durée maximale (notamment dans le cas, assez fréquent, où l’auteur surestime les chercheurs par crainte de voir ses énigmes résolues trop vite).

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CHARTE DES AUTEURS

Pour tenter de pallier les dysfonctionnements constatés dans le déroulement de certaines chasses, un groupe de chercheurs avait, sous l’impulsion de Pulsar, pris à l’automne 2000 l’initiative de rédiger une Charte regroupant des principes, des lignes de conduite visant à améliorer les chasses au trésor organisées dans l’intérêt de tous.

Il était prévu que ce document serait proposé aux auteurs qui pourraient y adhérer, le rejeter ou dire sur quel(s) point(s) leur chasse s’en écartait. La Charte ne voulait rien imposer à personne mais s’inscrivait dans une démarche de « labelisation », un peu à la manière de la certification ISO.

En dépit des efforts de ses initiateurs, ce projet n’a jamais pu aboutir. Était-il le symptôme d’une réaction ponctuelle de certains à un contexte troublé ? Ou s’inscrivait-il au contraire dans une vision à long terme dont l’heure n’était pas encore venue ?

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