SEUL OU EN ÉQUIPE ?

 

J’ai longtemps pensé que la résolution des énigmes qui composent une chasse organisée n’était pas un sport d’équipe. Dans une certaine mesure, je le pense encore aujourd’hui, en particulier pour le grand classique qu’est Sur la trace de la Chouette d’Or. Comme pour toute œuvre humaine, le simple passage du temps sans que la solution finale soit trouvée donne à cette chasse un statut à part, comme si cet élément la sacralisait sous prétexte que nous n’avons pas de prise sur son écoulement. Toutes les énigmes qui ont été soumises à la sagacité des chercheurs ont été résolues, sauf la Chouette, et je me vois mal travailler en équipe à sa résolution.

Chasser seul ne signifie par pour autant s’abstenir de tout contact avec les autres.

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COMMENT LES CHASSEURS SE SONT-ILS RENCONTRÉS ?

Il y a quelques années, les contacts se faisaient le plus souvent par Minitel. Ils étaient donc coûteux, pas très faciles à organiser et peu conviviaux. Seule la Chouette existait et le point de rencontre des chercheurs était le serveur 3615 MAXVAL sur lequel on pouvait poser des questions à l'auteur, Max Valentin, et échanger en différé sur un forum et dans des boîtes aux lettres électroniques rudimentaires. Si ce système perdure, l’arrivée de l’Internet a, dans le monde des chasses comme ailleurs, bouleversé la donne. Moins chers, plus conviviaux et en temps réel dans le cas de salons de conversation sur IRC (voir ma page sur l’IRC), les dialogues se sont multipliés.

De nouvelles chasses sont apparues, d’abord à l’initiative conjointe de Microsoft et de Max Valentin, puis d’autres auteurs qui ont utilisé le Net comme moyen officiel de diffusion et d’échanges. Une initiative comme celle de Volkswagen, organisateur de la chasse-rallye New Beetle associant une équipe sur le terrain avec une équipe d’internautes collaborant en direct, a contribué à une prise de conscience qu’il était, après tout, possible, agréable et en plus fructueux, de travailler en équipe.

D’outil d’aide au décryptage, l’informatique est devenu outil de communication. La multiplication des chasses a aussi donné aux chasseurs davantage d’occasions de se croiser un jour ou l’autre sur le terrain. Des initiatives comme les banquets Houkonmanje ont aujourd’hui pour but avoué de faire se rencontrer des chercheurs de tout le pays dans une ambiance festive, et des « Houkonmanje régionaux » ont pris le relais pour remplir les blancs en même temps que les estomacs.

L’émission de WebTV Thesaurus a accueilli, chaque semaine pendant plus d’un an, des chasseurs parmi ses invités ou dans le public des émissions, leur donnant aussi l’occasion de côtoyer des auteurs de chasses habituellement soucieux de protéger leur anonymat.

La pratique quasi-générale du pseudonyme, cet alter ego ludique du chasseur, a longtemps illustré une réticence à se rencontrer « dans le monde réel ». Quitte à passer des milliers d’heures à tenter de déchiffrer des secrets, autant se mettre au diapason et rester soi-même mystérieux—pour ne rien dire de la confidentialité maniaque dont chaque chercheur entendait bien légitimement protéger ses trouvailles... Avançant d’un pas hésitant sur un chemin semé d’embûches, le chasseur de chouette se méfiait de tout et de tous.

Cette propension au secret (pour ne pas dire, pour certains, cette paranoïa) a sensiblement diminué. On n’ira certes pas clamer ses découvertes sur les toits, pardon : sur les forums, mais au moins n’hésite-t-on plus à se rencontrer, à festoyer ensemble à visage découvert, voire à échanger quelques croquis sur le coin d'une nappe de restaurant. Derrière les pseudos sont apparus des visages, des prénoms, bref des êtres humains (presque) comme les autres.

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AVANTAGES D’UNE ÉQUIPE

Il était inévitable que, se rencontrant et apprenant à s’apprécier sur le plan humain, les chasseurs s’associent. Les petites chasses, réelles ou virtuelles, de quelques semaines ou quelques mois, ont fourni l’occasion de se « tester » en grandeur réelle, mais avec des enjeux limités, alors qu’à une époque, s’associer sur la Chouette était la seule option possible.

Ainsi naquirent des binômes, puis des équipes. Comme dans le monde des affaires, il y eut des fusions d’équipes, des prises de contrôle, et aussi des scissions, souvent douloureuses et génératrices de désillusions. Comme dans tout cabinet d'avocats ou de consultants, on attend de chaque membre de l’équipe qu’il apporte, non pas des clients, mais des idées suffisantes en nombre et en qualité ; il est peu d’équipes où un manque de productivité intellectuelle ou astucieuse ne soit pas tôt ou tard sanctionné.

Ainsi les équipes se font et se défont au gré des chasses, des emplois du temps familiaux et professionnels plus ou moins chargés, et des tempéraments. Il y a des stars et des étoiles filantes, des starlettes et des valeurs sûres, de jeunes espoirs et des reléguables. Au bout du compte, force est de constater, à la lumière de l’expérience, qu’une équipe de quatre ou cinq personnes, voire davantage (il y en a!), totalise davantage de neurones, de disponibilité et de moyens matériels qu’un chasseur isolé. Certaines équipes se composent sur la base des compétences dominantes (réelles ou supposées) de leurs membres ; comme au foot, il y a les milieux de terrain, les attaquants, les gardiens de but. La dispersion géographique, naguère un obstacle majeur, est devenue un atout, l’équipe étant assurée de pouvoir se rendre facilement dans n'importe quel coin de France pour déterrer le trésor convoité. Dans les chasses où le final sur le terrain est chronologiquement prévisible, voire défini à l’avance, travailler en équipe est obligatoire : la « base avant », installée à l’hôtel du village, assure la logistique et coordonne les opérations entre l’équipe de pointe, chaîne d’arpenteur et pelle en main, et la base arrière vouée aux recherches bibliographiques.

Faire travailler ensemble et à distance des individus qui, puisqu'on les espère complémentaires, sont nécessairement différents en termes de culture, d’habitudes, de méthodes, de statut familial, etc. n’est pas une mince affaire. Dans les équipes, on s’amuse souvent beaucoup (encore heureux!), mais pour obtenir des résultats, il faut aussi de l’organisation, comme dans n'importe quel groupe de travail. Certaines équipes ont des « patrons » naturels, d’autres s’en improvisent informellement au gré des circonstances. Ça va du soviet autogéré au despotisme éclairé, en passant par la plus joyeuse anarchie, et celles qui réussissent le mieux sont celles qui sont avant tout des bandes de bons amis qui, accessoirement, partagent la même passion pour les chasses au trésor.

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ET LES SOLITAIRES, ALORS ?

Face aux grosses écuries suréquipées, surmotorisées et surinformatisées, quel avenir pour les chercheurs solitaires ? Ceux-ci sont encore légion et ils revendiquent fièrement leur statut, mais leur amertume transparaît souvent lorsque telle ou telle chasse est remportée par une « grosse équipe ». « Le combat est inégal ! », clament-ils avec juste raison, oubliant que certaines chasses (comme la Rose des Vents de France 3) sont taillées sur mesure pour de telles équipes bien rodées. Parfois, cela donne lieu à d’ironiques rebondissements, lorsqu’un autre isolé réplique : « Ouais, t’as raison ! On s’associe sur la prochaine ? », mais le plus souvent, le poor lonesome cowboy poursuit sa quête seul, davantage, j'imagine, par inclination personnelle profonde que par manque d’occasions de faire équipe.

Le chercheur isolé n’en est pas condamné pour autant. Sur certaines chasses, il part avec un sérieux handicap mais sur d’autres, bien souvent les plus longues ou les plus ardues, l’expérience n’a pas jusqu’ici démontré sans conteste l’avantage du groupe sur l’individu. Max Valentin ne s’étonnait-il pas récemment, à propos de TH2001, du petit nombre d’équipes internationales effectivement constituées, alors que de tels regroupements avaient été officiellement préconisés pour venir à bout des énigmes ?

S’il fallait schématiser, je dirais que sur la plupart des chasses passées, les équipes ont montré leur supériorité. Qu’on s’en réjouisse en soulignant la convivialité qu’elles génèrent souvent, ou qu’on déplore la part du lion qu’elles s’octroient face aux « artisans », on ne va pas contre le sens de l’histoire. Mais l’histoire, parfois, hoquette...

L’essentiel est de ne pas oublier que tout cela n’est qu’un jeu et que, comme on le disait chez Apple à la grande époque, « The journey is the reward » soit, pour les non anglophones, « L’important n’est pas de vaincre, mais de participer » !

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