PORTRAITS DE CHASSEURS


Les chasses au trésor attirent des gens de tous milieux et de toutes origines. Elles se rattachent directement à l’imaginaire, au merveilleux de l’enfance et de l’adolescence que les adultes que nous sommes devenus ont bien besoin de retrouver pour échapper à la routine de la réalité quotidienne. Ce besoin-là transcende les catégories sociales et les générations.

Chercher un trésor, c’est vivre une aventure. De Stevenson au Club des Cinq, de Tintin à Bob Morane et à Indiana Jones, chacun peut choisir son personnage, l’alter ego qu’il incarnera au sein de notre petite communauté. Enfin… quand je dis petite… pas si petite que ça ! Le livre Sur la trace de la Chouette d’Or s’est vendu à plus de 80.000 exemplaires, le succès de l’émission estivale de France 3 La Carte au Trésor ne s’est pas démenti pendant 6 ans, et même les chasses plus « confidentielles » réunissent plusieurs milliers de passionnés.

La chasse au trésor est une activité « à la carte » (sans jeu de mots) : on peut la pratiquer seul, entre amis, en famille, pendant les vacances ou dans les transports en commun. J’en connais même qui la pratiquent assidûment… au bureau, ou qui adaptent leurs rendez-vous et autres activités professionnelles aux contraintes de leurs recherches...! Car il y a de tout chez les chasseurs de trésors, depuis l’amateur qui fait ça en dilettante, quand ça le prend, histoire de se dérouiller les neurones, jusqu’au « semi-pro » qui y consacre l’essentiel de ses loisirs et du budget correspondant.

Le premier s’attaquera à une énigme parce qu’il s’ennuie sur la plage ou qu’il n’a plus rien à lire le soir, le second y passera des nuits et des week-ends entiers, pensera chasse, vivra chasse. Son lieu de vacances sera choisi en fonction des reconnaissances qu’il compte faire sur le terrain toujours renouvelé de ses hypothèses, son libraire et son bouquiniste dérouleront pour lui leur plus beau tapis rouge, et France Telecom lui accordera (à défaut de délais de paiement) le statut de client privilégié. Le mordu de la chasse au trésor mettra sans vergogne à contribution famille, amis, collègues de travail, voire même les autres chercheurs, à qui il tentera de soutirer des bribes d’information par tous les moyens, avouables ou pas.

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TYPOLOGIE DES CHASSEURS

L’intégriste est partisan acharné (ses opposants diront indécrottable) d’une théorie et une seule, celle qui explique tout, qui justifie tout, et à laquelle d’ailleurs, à l’en croire, les faits et les déclarations de l’auteur s’adaptent magnifiquement—en forçant à peine. L’unique défaut de la théorie est qu’elle ne l’a conduit à exhumer à ce jour que des boîtes de bière rouillées et de vieux souliers (car l’intégriste va sur le terrain, et souvent encore). Mais ces insuccès à répétition ne sont imputables qu’à un minuscule détail qu’il n’a pas encore bien maîtrisé. La théorie, tel le credo qui est le fondement de la foi, n’est jamais remise en cause.

L’intégriste aimable discutera volontiers avec les infidèles, pauvres brebis encore égarées dont il écoutera les propos avec une indulgence navrée. Il sait bien, lui, que les voies de l’Auteur sont impénétrables, mais « croire et laisser croire » est sa devise et il se contente d’espérer avec sincérité que celui qui erre encore sur les chemins de l’impiété verra bientôt la lumière—la vraie, la sienne.

L’ultra-intégriste, lui, est un quasi-forcené. Mudjaheddin de la chasse au trésor, il avance étendard au vent et sabre au clair, tel un moine-soldat. Les têtes des incroyants vont tomber sur les bords acérés de sa pelle ! Gardez vos distances : même si vous êtes d’accord avec lui sur le fond, ses procédés risquent de vous rebuter.

L’hésitant doute. Il doute de tout, à commencer par ses propres théories. Il ira jusqu’à vous faire douter de vous-même. Naguère, il pensait qu’il était hésitant, mais maintenant il n’en n’est plus aussi sûr… Au contraire de l’intégriste qu’aucune objection n’arrête, il remettra en cause les solutions les plus solides et les mieux confirmées, avançant à cette fin les motifs les plus improbables—car il sait être convaincant, le bougre, quand il s’agit de faire douter les autres ! Un hésitant diplômé est capable d’abattre le moral de toute une équipe en un tournemain.

Le suiviste est une variante de l’hésitant. Comme il n’a pas d’idées bien arrêtées, il adopte volontiers celles des autres. Avec lui, le dernier qui parle à toutes les chances d’avoir raison. Il ne doute pas vraiment, mettons qu’il… s’adapte. C’est la proie idéale de l’intégriste qui pensera l’avoir converti.

Le papillonneur peut être un chasseur intelligent, perspicace, sagace et astucieux, mais il lui manque une qualité essentielle : l’opiniâtreté. Rebuté par la difficulté, il volette d’une chasse à l’autre, picorant une énigme ici, une autre là. Il n’a pas le courage de s’obstiner, et donc ne va jamais très loin, mais il peut faire un coéquipier charmant et inventif—en début de chasse en tous cas.

Le professeur fou est le spécialiste des idées géniales. Elles ne sont… hmm, disons pas toujours justes, et en plus neuf fois sur dix il n’arrive pas à les expliquer à ses coéquipiers. Il brosse une esquisse (ou l’inverse), ébauche une équation du énième degré qu’il laisse le soin à ses partenaires de compléter ou de résoudre. Lui n’a pas le temps, les contours d’une nouvelle idée se dessinent déjà dans son esprit ; il est capable d’alimenter tout un cheptel de besogneux (voir ci-après) pendant des mois. Si vous savez le contraindre à redescendre sur terre, à prendre son temps et à creuser les fondations de la maison avant d’accrocher la plaque « Sam suffit », il peut être un formidable allié.

Le besogneux, lui, n’a pas de ces éclairs de génie qui contribuent à façonner la réputation d’un chasseur (même s’ils se révèlent souvent totalement erronés). En revanche, il n’a pas son pareil pour aller en bibliothèque, éponger tout ce qui a été publié sur la vie et l’œuvre de Fibonacci et vous en livrer une synthèse aux petits oignons. Il est lent, méthodique et prudent. N’étant pas créatif, il doit être dirigé, orienté, mais lorsqu’on le pointe dans une certaine direction (la bonne, de préférence), il revient avec des résultats et rechigne rarement devant l’ampleur de la tâche. C’est un complément et un contrepoids idéal pour un professeur fou.

Vous, enfin. Encore une catégorie à part, celle-là. Tantôt intégriste, tantôt hésitant, professeur fou à vos bonnes heures mais besogneux quand il le faut, vous reconnaissez les qualités des autres et il vous arrive donc d’être, à l’occasion, un peu suiviste. Vous ne papillonnez pas, ça non, restons sérieux, on ne peut pas faire 36 choses à la fois. Euh… au fait, puisqu’on est coincé sur celle-ci, est-ce qu’il n’y a pas une nouvelle chasse qui devrait sortir prochainement ?

Si vous avez rencontré d’autres types de chercheurs, écrivez-moi... Je publierai vos contributions.

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Une pièce de collection : le sticker Chouette d’Or
fabriqué en petite quantité en 1993.

 

LES PSEUDOS (ou comment se refaire une vie pour pas cher)

L’usage des peudonymes ou « pseudos », popularisés dans les années 80 par le Minitel, est très répandu parmi les chasseurs de trésors. Se doter d’un pseudo, c’est déjà se sentir membre de la communauté des chercheurs ! Et quel plaisir que de commencer à le faire connaître par de judicieuses interventions sur les chasses en cours, et de le consacrer ensuite, peut-être, par la découverte d’un trésor !

Bref, un pseudo est quasiment indispensable et vous prendrez vite l’habitude de vivre avec cet alter ego, comme un auteur avec son nom de plume, au point de n’être plus du tout surpris lorsqu’en décrochant le téléphone, vous entendrez : « Allo, Monglane ? C’est Jupiter… (un silence, puis d’un ton gêné, comme si l’autre confessait un terrible péché) … ben, Maurice, quoi ! » Ici, il est séant de répondre : « Oui, oui, Jupiter, je t’avais reconnu ! » Autrement dit, si vous êtes mordu par le virus de la chasse au trésor, choisissez soigneusement votre pseudo, car vous allez vivre avec pendant des années : les changements « officiels » de pseudo sont mal vécus par les autres chercheurs, et vous pouvez parier que l’« AZERTY » ou le « Momo75 » des premiers jours, retenu à l’époque par manque d’inspiration, vous collera longtemps à la peau avant que vos estimés confrères consentent à adopter « Cyrano » ou « Sherlock » !

Le recours à un alter pseudo (c’est-à-dire l’utilisation ponctuelle d’un autre pseudo inventé par vous) est considéré comme de bonne guerre pour poser « incognito » des questions à l’auteur d’une chasse (après tout, lui non plus on ne le connaît pas forcément !), mais totalement inacceptable dans les relations avec les autres chercheurs : il faut quand même bien que chacun sache à qui il a affaire, que diable !

Quant à l’usurpation d’un pseudo connu, elle relève de la haute trahison passible de l’inscription immédiate et définitive sur la liste noire… à moins qu’elle ne soit l’effet d’une bourde involontaire commise par un pied-tendre qui fera amende honorable et publique à la première occasion, auquel cas l’indulgence du jury lui est acquise—l’auteur de ces lignes en sait quelque chose.

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ET MONGLANE ALORS, C’EST QUI ?

Il était une fois, en avril de l’an de grâce 1996, un internaute nouveau-né qui, testant sa toute fraîche science du surf, atterrit sans vraiment l’avoir cherché sur l’une des pages de son fournisseur d’accès intitulée « Chasses aux trésors ». Cette page (officiellement défunte depuis longtemps sur Club Internet) lui rappela immédiatement la passion qui l’avait animé, quelque vingt années plus tôt, pour les rallyes dits « touristiques » et la résolution de leurs énigmes. Des rallyes de ce genre, il en avait fait des dizaines, à pied, en voiture, et même en bateau ; il en avait aussi organisé.

Il se souvint également de cet étrange rallye virtuel, à l’échelle de la France entière, contenu dans un roman appelé Phil Météor, dans les années 80 : c’était la première chasse au trésor organisée destinée au grand public. Les indices disséminés çà et là dans cette fiction un peu puérile l’avaient conduit jusqu’en forêt de Quénécan. À ce point, il avait dû abandonner à regret ses recherches, par la faute d’une inamicale faculté de droit américaine qui refusait de repousser pour lui la date de la rentrée.

Phil Meteor, de José Varela et Caroline Parent, publié par Jean-Claude Lattès, peut être considéré comme le support de la première chasse au trésor grand public organisée en France.

Merci à Patrice Salvy (pour une fois, ce n’est pas un pseudo!) et à son incontournable site pour le scan de la couverture... J’ai pour ma part perdu ce bouquin depuis des lustres !

Cheminant à travers la page Chasses aux trésors de Club Internet, notre internaute tomba inévitablement sur la Chouette d’Or, dont les ailes largement déployées dominaient alors le monde des chasses francophones. Ayant acheté le livre, il se connecta au serveur Minitel 3615 MAXVAL, où les chercheurs pouvaient poser des questions à Max Valentin, l’auteur des énigmes. Il y fut sur-le-champ plongé dans le monde des pseudos. Comme n’importe lequel des 60 millions de consommateurs, il se demanda : Que choisir ? Assumer une identité virtuelle lui était familier, à lui qui avait tant pratiqué les jeux de rôle, mais cette fois on sortait quelque peu de l’univers médiéval de Donjons & Dragons. Il fallait trouver autre chose.

Fervent lecteur de Maurice Leblanc, il essaya « Lupin ». Déjà pris, bien sûr. « Arsène » lui semblant bien désuet, il devint, pour quelques semaines, « Lenormand » (les lupinophiles apprécieront), et publia à la même période sur Club Internet trois énigmes d’un mini rallye-chasse au trésor dénommé Laura, sous le pseudonyme de Raoul de Giverny, autre avatar d’Arsène Lupin.

C’est alors que l’une des énigmes de la Chouette d’Or le conduisit à s’intéresser de nouveau au haut Moyen-Âge, à la Chanson de Roland, et à rafraîchir ses connaissances sur les chansons de geste en général. Il découvrit ainsi l’existence d’une Geste de Monglane, poème épique composé en l’honneur d’un des chevaliers de Charlemagne. Monglane, ça sonnait bien, et il se documenta sur le personnage.

Il s’avéra que ce Garin de Monglane, homme de guerre réputé mais aussi fin diplomate, était l’un des conseillers les plus écoutés de l’empereur, et un stratège habile. Un jour qu’il jouait aux échecs avec Charlemagne, il eut l’audace de mettre celui-ci échec et mat ; après avoir piqué une rogne aux proportions de son empire, le propriétaire de la légendaire barbe fleurie eut le bon goût de lui faire cadeau du jeu d’échecs, un magnifique ensemble en or, onyx et pierres précieuses de tout poil, probablement offert par quelque potentat sarrasin. Cet objet, passé dans l’histoire sous le nom d’« Échiquier de Monglane », n’a jamais été retrouvé et constitue encore aujourd’hui un des grands trésors légendaires d’Occident.

Ainsi brièvement brossé, le portrait de Garin de Monglane convenait parfaitement au monde des chasses aux trésors : le pseudo était trouvé.

On ajoutera qu’en matière de descendance, Garin de Monglane fit nettement mieux que son empereur, puisqu’il est le fondateur de l’illustre maison d’Orange-Nassau, qui a fourni maints souverains à l’Europe et qui règne encore à ce jour sur le royaume des Pays-Bas…

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